L’article de la Dépêche, paru dans la semaine du 19 décembre 1921, met l’accent sur l’originalité de la structure du monument et vante le cadre de son emplacement. Une description très détaillée du cortège et de l’assistance précède les extraits des discours d’un grand mutilé de guerre, du maire de Hendaye, du président des Vétérans de 1870 et du sous-préfet de Bayonne :
“HENDAYE. - Inauguration du monument aux morts pour la France
Au milieu d'un grand concours de population a eu lieu, dimanche 18 décembre, l'inauguration du monument élevé à la mémoire des enfants de Hendaye morts pour la France.
Le monument, qui se distingue surtout par son originalité, n'ayant rien de commun avec les monuments élevés dans la région, est formé d'un hémicycle semi-circulaire, concave, en pierre rouge du pays. Au-devant de l'hémicycle, auquel on accède par trois marches, est posé, sur un socle de même pierre, un bronze représentant "la France poétisée par une femme en deuil soutenant un soldat mourant". L'œuvre, primée du dernier Salon, est du sculpteur M. Ducuing. Le plan d'ensemble, architecture, décors, etc., sont le travail de MM. Martinet-Adamski, architectes paysagistes.
Il fallait à cet ensemble architectural, un fond de verdure, un site tranquille, beau et majestueux en même temps, qui prêtât au recueillement dans l'avenir, à l'évocation de pieux souvenirs, douloureux et réconfortants tout à la fois, réconfortants en songeant que, malgré tout, le sacrifice des 98 Hendayais inscrits sur les tablettes de l'hémicycle n'aura pas été vain.
Ce fond de verdure est un des coins de la villa "Apollonie", sur l'esplanade du Vieux Fort, l'endroit à coup sûr le plus pittoresque de Hendaye.
Trois larges allées sablées conduisent au "monument", entouré de cyprès et autres plantes. Sur la droite, un vaste horizon sans fin, la mer, au-devant de cet horizon la "Bidassoa", séparée de la mer par la pointe de sable s'avançant vers Fontarabie, en éperon, surmontée de belles villas, aux murs blanchis, aux toits rouges, dont le style basque s'harmonise très heureusement avec celui des belles maisons bourgeoises du quartier de la "Madeleine", quartier qui n'est que le prolongement vers la mer du vieux Fontarabie.
Un beau ciel, comme on en voit seulement au pays de "Ramuntcho", tel est le superbe décor du "monument aux morts hendayais".
Heureuse, l'idée du monument! Heureuse l'idée de l'emplacement, éloigné des bruits assourdissants et des bacchanales d'une place publique! Entourons nos morts d'un souvenir aussi silencieux que l'a été leur sublime sacrifice.
Après la cérémonie religieuse, le cortège civil s'est formé sur la place de la République. Par la rue du Port et le boulevard de la Plage, le cortège s'est rendu à l'emplacement du "monument". En tête du cortège, ouvrant la marche, les enfants du sanatorium de la ville de Paris, du nid "Marin", les élèves des écoles libres, des écoles laïques, les bras chargés de gerbes de fleurs, le groupe des Vétérans de 70, précédés de leur bannière, groupe des combattants, celui des Mutilés et sa bannière, l'Harmonie municipale exécutant la "Marche de Chopin", les veuves, orphelins de la guerre, parents des disparus et Union des Femmes de France, encadrés d'une garde d'honneur du "Grondeur"; la gendarmerie fermant la marche puis le groupe des personnalités officielles, M. le maire de Hendaye, M. Fauconnier, sous-préfet de Bayonne, M. le colonel du 49e d'infanterie, M. le consul d'Espagne à Hendaye, M. Frappart, doyen, M. le capitaine de gendarmerie.
Au deuxième rang: M. Lannepouquet, premier adjoint, MM. les maires de Fontarabie et d'Irun, M. Estomba, vice-consul d'Espagne, M. Léon Iruretagoyena, ancien maire d'Irun, décoré de la légion d'honneur.
Au troisième rang: le conseil municipal, suivi des chefs de service; M. Bru, directeur du Sanatorium; M. Dartige, receveur des postes; M. l'inspecteur des douanes; M. Fédoux, chef de gare; M. Grammont, lieutenant des douanes; M. Véron, commissaire spécial de police; puis, faisant suite au groupe officiel, les douanes actives en tenue, le groupe des hommes et, fermant la marche, le groupe des femmes.
Devant le monument se place le groupe des officiels, les deux allées latérales sont réservées aux enfants de l'assistance et des écoles, les divers groupes, Vétérans, combattants, Mutilés, veuves, orphelins, parents des disparus sont en face du monument. Des deux côtés extérieurs de l'allée du milieu et sur les pelouses se placent les assistants.
Ces deux pelouses sont en plan incliné vers le monument et se prêtent merveilleusement aux circonstances. La garde d'honneur des marins du "Grondeur" et les douanes actives en tenue, la gendarmerie tiennent l'allée centrale. L'Harmonie est à la droite du bronze avec les drapeaux. Des mâts surmontés d'oriflammes aux couleurs françaises complètent une décoration sobre, mais de bon goût.
L'Harmonie exécute une marche funèbre; puis M. Chaubac, maire, fait la remise du monument.
Un mutilé appelle les noms des disparus, deux autres mutilés répondent : "Mort pour la France".
M. Joseph Arramberri, grand mutilé de guerre, prononce, au nom des mutilés et des combattants, un discours, précis, concis, d'une haute portée morale, dont voici certains passages:
"Je viens à mon tour avec une émotion profonde, déposer devant ce monument qui doit perpétuer, avec le souvenir de nos deuils et de nos souffrances, la légitime fierté que nous inspire l'héroïsme de ceux que la guerre nous a pris, l'hommage de notre respect, de notre admiration et aussi, hélas, de notre regret.
Quel est celui qui abdiquerait avec indifférence une part de gloire, d'honneurs, de pureté morale si chèrement achetée.
Ceux qui ont vécu la guerre et souffert par la guerre n'oublieront certainement jamais.
Il y a quelque chose de plus précieux que la vie puisque des hommes en ont fait le sacrifice volontaire.
Et si tout Hendayais s'incline ici avec ferveur pour songer, ne fut-ce que quelques secondes
Que s'il vit sans nul remords
C'est parce que ses aînés sont morts et morts vraiment en hommes,
On pourra dire qu'un immense sacrifice ne s'est pas accompli en vain."
M. le maire prend la parole en termes émus, d'autant plus émus que M. Chaubac, ancien directeur des écoles, éleva la presque totalité des disparus. Voici en substance ce que dit l'ancien et excellent maître:
" J'ai aujourd'hui l'insigne honneur de remettre aux habitants de Hendaye ce monument destiné à commémorer bien avant dans la suite des temps le souvenir des héros Hendayais morts pour la France durant la plus terrible guerre qu'ait supportée l'humanité.
J'ai hâte d'adresser mes plus vifs remerciements à tous ceux qui, riches et pauvres, ont généreusement apporté leur part aux importantes sommes recueillies par souscriptions ou dons volontaires.
C'est ici que, désormais, les âmes de nos morts se sont donné rendez-vous."
L'orateur retrace la vie du poilu pendant la guerre, ses souffrances, ses espérances :
" Tous sont morts pour la France, Mères et veuves éplorées, vaillantes femmes de la ville et de la campagne, séchez vos larmes et haut les cœurs."
S'adressant aux combattants, aux mutilés :
"Je ne puis m'empêcher de vous honorer avec les morts, et de ne point séparer votre âme de la leur : ensemble elles furent à la peine, ensemble elles sont à l'honneur.
Morts glorieux de Hendaye, vous avez bien mérité de la Patrie."
M. Arthur Ramillon, président des Vétérans 1870-1871, fait déposer contre le socle de la statue une superbe couronne portée par une pupille de la nation ; en termes vibrants le vieux vétéran dit pourquoi la société s'est créée, non pas pour une question de retraite, mais uniquement pour perpétuer ce mot du grand tribun , Gambetta: "Pour l'Alsace et la lorraine, n'oubliez jamais." Aujourd'hui le vétéran est satisfait, l'immanente justice, par le courage et le sacrifice des poilus de 1914-1920, a fait son œuvre en réparant les effets funestes d'une attaque aussi brutale qu'injustifiée.
Au nom du gouvernement, M. Fauconnier, sous-préfet de Bayonne, prend la parole :
" L'hommage que je viens rendre au nom du gouvernement, aux grands morts de Hendaye se double d'une impression personnelle d'admiration que mon séjour en cette région, pendant la guerre, me permet aujourd'hui de ressentir et d'exprimer.
C'est ici peut-être que le sacrifice a été le plus lourd et la pure beauté de sa valeur morale suffit à la magnifier.
L'ancien maître aimé et respecté de tous a traduit, au pied de ce monument, dans un langage si plein de cœur et de douloureuse fierté, l'émotion de la municipalité qu'il préside et de la population qu'il représente.
Il a connu ces hommes devenus les martyrs glorieux d'une époque sanglante, son enseignement n'a pas été perdu. Et pourtant, s'il était un pays où l'on sentait la douceur de vivre, n'était-ce pas cette région privilégiée de la nature.
Ce n'était pas tout encore. Quatre années durant, les bruits de la tourmente vinrent expirer au bord de la Bidassoa, jusqu'au fond, en sortant de son apparente torpeur l'eau limpide de la baie se réveilla pour frissonner au vent de la victoire.
Aux plus sombres jours de la guerre, le deuil des cœurs n'empêchait pas de sentir ici l'avant-goût de l'atmosphère de paix.
Tout cela, les combattants mobilisés de Hendaye ne l'ignoraient pas. Quittant sans amertume et sans hésitation, pour un destin qu'ils savaient cruel, ce qui pouvait les retenir, ils allaient s'opposer à l'invasion dans le seul souci de bien tenir leur place et de répondre à l'appel de la patrie en danger.
Combien de ces soldats de la République sont restés sur les champs de bataille. Nous n'honorerons jamais assez ces morts, qui ont écrit la plus belle page de votre histoire locale.
L'œuvre que voici rappellera leur gloire. Pour nous-mêmes, l'image est de nature à nous unir, à nous réconforter.
Telle est la leçon qui se dégage d'une cérémonie comme celle-ci : leçon vraiment humaine et qui justifie bien la parole de M. le ministre de l'instruction publique de l'Université de Bordeaux:
"Exalter la mémoire de nos morts et prolonger le souvenir de nos souffrances, ce n'est pas arrêter l'histoire à la page de la haine, c'est honorer l'humanité dans la cause de la France et la justice dans sa victoire."
M. le colonel de Gallé, du 49e d'infanterie de Bayonne, glorifia les morts locaux et apporta le salut de l'armée.
Les enfants de l'école laïque, sous l'habile direction de M. Labarrère, directeur des écoles, exécutèrent un cœur à quatre voix: "Ceux qui pieusement sont morts pour la France..."
L'Harmonie, dirigée par M. Caumille, joue la "Marseillaise". La manifestation, grandiose dans sa simplicité, est terminée. Le défilé des différentes délégations a lieu devant le monument; en passant, les enfants jettent des fleurs. La dislocation se poursuit dans le plus grand ordre, grâce aux dévoués commissaires.
Hendaye a glorifié ses morts avec une majestueuse simplicité, digne d'eux. –
J. Faget*”