du 21 août 1921 (Mémorial du Ternois) -- La commune de Bonnières, si calme et si paisible d’ordinaire, avait revêtu, dimanche dernier, une physionomie toute patriotique. Elle fêtait, ...
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Inauguration - Presse 21/08/1921
du 21 août 1921 (Mémorial du Ternois)
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La commune de Bonnières, si calme et si paisible d’ordinaire, avait revêtu, dimanche dernier, une physionomie toute patriotique. Elle fêtait, dans le recueillement, la mémoire de ses enfants tombés au champ d’honneur.
Le matin, après la remise d’un drapeau aux anciens combattants, eut lieu une messe solennelle dans l’église décorée d’une façon artistique par M. J. Deray, de Frévent. Après l’Évangile, au milieu d’un silence religieux, M. le chanoine Bridoux, aveugle de guerre, chevalier de la Légion d’Honneur, médaillé militaire et croix de guerre, dans une vibrante allocution, fit l’apothéose du poilu. Développant ces paroles de l’Évangile « In memorian erit Justus – le souvenir du juste est impérissable », l’orateur nous fit suivre, une à une, toutes les grandes étapes de la vie guerrière du soldat français – Héros, sauveur et martyr ! – Pendant la messe, des chants patriotiques furent exécutés par un chœur de jeunes filles sous la maîtrise de Mlle Sacleux, et avec l’heureux concours de l’excellent violoniste qu’est M. Cléton, de Boubers.
A 4 heures, un cortège se formait au centre du village. La musique de Rollepot ouvrait la marche, suivie des enfants des écoles, de quelques groupes de circonstances : la France adoptant ses pupilles, Jeanne d’Arc guerrière, la France au Travail, l’Entente Cordiale, la France Victorieuse. Venaient ensuite les vétérans de 1870, les anciens combattants, les délégations de sociétés voisines, les familles en deuil, les autorités.
Après la bénédiction du monument, M. l’abbé Sacleux, curé de Bonnières, prit la parole :
« En défendant son sol, sa maison, sa famille, le soldat français a défendu aussi son église et ses croyances. Souvent son moral était relevé par le noble exemple des aumôniers et des prêtres combattants. Et c’est cette belle attitude du clergé français pendant la guerre qui força l’admiration de tous et pesa d’un grand poids dans le maintien de l’union sacrée ».
Puis ce fut l’émouvant appel des morts fait par M. Harduin, conseiller général, maire de la commune.
Alors, au nom des anciens combattants, M. Marcel Harduin, leur président, prononça le discours suivant empreint du plus pur patriotisme :
Discours de M. Marcel Harduin, président de l’Union des Combattants
« Voici bientôt 3 ans que le terrible cauchemar est terminé ! Trois ans que ce pays n’entendant plus ni le son du canon, ni le crépitement de la mitrailleuse, a repris sa vie d’avant-guerre ! Trois ans bientôt que nous avons dû laisser dans ces plaines désolées de Dunkerque à Belfort, dis-huit de nos meilleurs camarades. Couchés à l’ombre d’une humble croix de bois ensevelis au fond d’une tranchée, ils sont restés là-bas, loin de leur clocher natal, plongés dans un silence désertique.
En cette journée, consacrée au culte du souvenir, permettez, chers et infortunés camarades, qu’au nom de vos frères d’armes, je vienne rendre un suprême hommage à votre mémoire, et dire à cette nombreuse assistance, sur qui planent en ce moment vos âmes, qui vous étiez, comme vous êtes tombés et pourquoi vous êtes morts.
- Enfants de ce pays, vous étiez les compagnons de notre jeunesse ; nous allions ensemble sur les bancs de la même école ; fréquemment nous nous sommes trouvés réunis sous les voûtes de cette église ; nous jouions ensemble et bien souvent nous partagions les mêmes joies et les mêmes tristesses.
Ensemble, le 2 août 1914, nous sommes partis, à l’appel des cloches de France, d’un même élan, d’un même cœur, confiants dans la victoire prochaine. Hélas ! La victoire se fit attendre ; aux batailles en rase campagne du début de la guerre, succédèrent les longs et monotones mois des tranchées ; c’est là que nous apprîmes votre mort, à vous, chers camarades, vous disparaissiez l’un après l’autre.
Dans un des premiers combats qui furent notre première victoire, tu succombas le premier de ce village, Jean-Baptiste Malbranque, avec ce mâle courage que nous te connaissions tous.
Puis ce fut toi, Gaston Brément, qui trouvas une mort glorieuse dans l’eau et dans la boue de l’Yser. Ce fut toi, ensuite, mon cher Maurice, dont le colonel a dit : C’était un brave, un intrépide, un téméraire même puisque c’est son ardeur guerrière et son grand patriotisme qui l’ont conduit à courir à l’assaut, alors que son service normal l’en dispensait.
Au printemps 1915, à des milliers de lieues d’ici, là-bas en Orient, vous êtes disparu, lieutenant Legrand, en défendant l’honneur du drapeau français, tandis que près d’ici, à Neuville-Saint-Vaast, tu luttais Léon Henneguelle, en te cramponnant à ces côtes d’Artois qui étaient pour nous notre dernier rempart.
Dans cet enfer horrible qui restera légendaire et qui se nomme Verdun, vous êtes tombés tous trois en braves, Charlemagne Laurent, Alfred Malbranque et Émilien Mortier, en compagnie de ces dizaines de milliers d’hommes qui tombaient chaque jour, léguant à la postérité le plus bel exemple d’un courage surhumain et de l’abnégation la plus complète.
Et vous, Pierre Petit, Eustache Routier, et Maurice Devillers, vous avez illustré de votre mort les marais de la Somme, ce terrain mouvant, où, côte à côte avec les Anglais, vous avez participé à cette avance prodigieuse, qui étonna le monde et sur qui brillaient déjà les premiers rayons de victoire ; tandis que vous, Albert Debry et Jules Carbonnet, vous succombiez courageusement à Louvemont et à Bezonvaux, tenant tête à la ruée allemande, toujours plus forte, toujours plus sauvage.
Puis, ce fut toi, Ernest Carbonner, qui péris héroïquement dans ce petit coin de Belgique, petit par l’étendue, mais grand par la bravoure. Et toi, Élie Mercier ? A peine es-tu parti, qu’un obus est venu te foudroyer, alors que tu te disposais à charger ta pièce, mise en batterie près de Souain.
La fin de la guerre, si émouvante par l’indécision du sort qui allait donner à l’un, la victoire, et à l’autre, la défaite, nous ravit, toi, Eugène Nivelle, et vous, lieutenant Delannoy.
Enfin, à l’aube de la victoire, à quelques kilomètres d’ici, à une distance telle que l’on put entendre d’ici l’obus qui te fauche, tu fus tué, Georges Deray, en allant de l’avant, mettant ta poitrine entre l’envahisseur et nous ; et par ta belle et glorieuse mort, tu clôtures cette liste.
Liste trop longue, hélas, que celle de ces héros, morts en pleine jeunesse ou dans la maturité de l’âge ; tous sont morts en braves, avec simplicité. En effet, rappelez-vous.
C’était en pleine bataille, à l’aube d’un jour d’attaque ; pendant que les canons français vomissaient la mitraille et le feu, le poilu, blotti dans la tranchée, attendant l’heure décisive, enveloppait dans une dernière pensée tous ceux qui lui étaient chers, et cette pensée, au lieu d’affaiblir son courage, le stimulait au contraire et le rendait plus fort.
Aussi, oyez-le bondir hors de la tranchée.
Il va, le front baissé, le cœur battant, les dents serrées, trébuchant, emporté vers le Boche, qui crache la mort sans répit. Rien ne l’arrêt. Au milieu des balles, des obus, des grenades, il court. Il rampe à travers le réseau barbelé. Toujours il marche jusqu’à l’horrible corps à corps. Mais bien souvent une balle meurtrière l’atteint. Il tombe. Et là, seul, loin des siens, sans personne pour le secourir, il se meurt, arrosant de son généreux sang la terre qui va lui servir de linceul.
Que ce soit en pleine bataille, à l’arrière, dans un abri, ou encore à l’hôpital, le poilu français s’est toujours montré, devant la mort, plein de ce courage, et de cette abnégation qui, chez les martyrs, font l’admiration du monde.
Et s’il est mort aussi bravement, c’est qu’il n’avait qu’une idée : la Patrie ! La pensée qui animait son geste, l’ardeur qui enflammait son sang, l’amour qui consentait au don de sa vie, tout, chez lui, se résumait en ce mot : la Patrie. Il savait en effet qu’il sacrifiait ce qu’il avait de plus précieux et aussi de plus cher, pour la défense de sa famille, de son pays et aussi pour le plus grand honneur du drapeau français.
En défendant sa femme, ses enfants, ses parents, le poilu français a défendu la famille française. Il n’a pas voulu que cette famille connut les horreurs de l’invasion, il a voulu, au contraire, qu’elle demeurât libre, fière, et indépendante.
En défendant son pays, il a voulu que ce clocher reste debout, que ces maisons demeurent intactes, que ces champs continuent à être la richesse de ce village. Et en cela, il est bien digne de ses ancêtres, car si ses aïeux ont défriché cette terre, si ses parents l’ont fécondée de leur travail, lui, il a fait mieux encore : il est mort pour la défendre !
Enfin, Mesdames, Messieurs, il est tombé pour le plus grand honneur de notre drapeau. Et le drapeau qu’est-ce ? Si ce n’est la France entière qui vibre dans ses plis.
Il a voulu, le poilu français, lui garder ce patrimoine d’honneur et de gloire qui ne s’acquiert qu’à travers les siècles. Il n’a pas voulu lui laisser infliger la honte d’un peuple vaincu, il a voulu que la France reste la France, la première et la plus belle des nations.
Semblable aux héros de César, aux preux du Moyen Age ou aux grognards de Napoléon, le soldat de 1914, a écrit de son sang la plus belle page de l’épopée française, page de gloire et d’immortalité !
En terminant, mes chers camarades, je fais le serment au nom de vos frères d’armes, de ne jamais vous oublier.
Nous nous souviendrons de ce que vous avez fait pour nous, en aidant et en soulageant vos veuves, vos enfants, vos vieux parents ; en restant unis, vivant de cette fraternité que vous nous avez toujours montrée. Nous nous souviendrons enfin, en achevant votre œuvre s’il le faut. Et si demain, quelque danger menace de nouveau notre bien-aimée Patrie, jurons qu’avant de répondre à l’appel aux armes du pays, nous nous grouperons ici, autour de ce monument. Nous y viendrons, tous, dire à nos glorieux aînés que leur exemple nous guidera et que – quoiqu’il arrive – nous saurons imiter leurs suprêmes renoncements, pour que la France vive et rayonne éternellement. »
Ensuite, l’excellent conseiller général, M. Goubet, témoigna toute sa sympathie à la population parmi laquelle il a vécu plusieurs mois.
Discours de M. Aimé Goubet
« Ce n’est pas la première fois que j’assiste à l’émouvante et symbolique cérémonie d’inauguration d’un monument aux morts de la grande guerre. Je tiens cependant à souligner celle d’aujourd’hui dans ce charmant et patriotique village de Bonnières, où j’ai obtenu le droit de cité après avoir été largement accueilli par ses habitants. La sympathie qu’ils m’ont manifestée, durant mon séjour au milieu d’eux et dont je garderait toujours le meilleur souvenir, a pu me faire oublier pendant quelque temps les ruines de Bapaume et les deuils qui ont assailli mon pays natal, et me permettre d’attendre le retour au foyer familial. Aussi ai-je accepté avec empressement l’invitation que m’a faire si aimablement votre maire et conseiller général, M. Harduin, pour venir parmi vous prendre ma part de vos regrets pour ceux qui ne sont plus et me revivifier au milieu des vivants.
La cérémonie d’aujourd’hui est une évocation de gloire et de souffrance : gloire pour la France qui a pu reprendre à l’Allemagne vaincue les deux chères provinces du Rhin, l’Alsace et la Lorraine qui lui avaient été autrefois si brutalement arrachées ; souffrance pour les pauvres mères qui ont donné leurs fils à la mère patrie et qui les pleurent, en maudissant le barbare ivre de sang et d’orgueil qui n’a pas craint de fomenter le plus terrible des conflits pour satisfaire ses impériales visées de conquête. Souffrance aussi pour les veuves, pour les enfants qui ont perdu leur soutien, pour les mutilés qui méritaient un meilleur sort.
Ah ! certes, la France, si belle, si prospère, si heureuse dans la paix, n’avait aucun désir de conquête, elle sort grandie de l’épreuve, mais combien elle est affaiblie pour panser ses blessures et se refaire. Le paysans que je suis a applaudi à l’héroïsme de nos soldats, de nos cultivateurs surtout qui ont donné pendant la guerre les plus beaux exemples d’abnégation, de courage civique, de discipline, de mépris du danger qui se puissent concevoir ; amants passionnés de la terre qu’ils aiment parce qu’ils la travaillent ; c’est par leur volonté qu’ils font sortir de ses entrailles des récoltes superbes et c’est pour cela qu’ils ont donné pour la défendre tout leur sang, toute leur vie.
Tous ceux dont nous commémorons aujourd’hui le souvenir n’étaient pas tous des propriétaires ; s’ils furent sublimé à ce point, ce n’était point pour défendre leurs terres à eux, mais toute la terre de France ; et ils ont trouvé dans l’amour du sol, du clocher, de tout ce qui est la Patrie, les sources du plus grandiose dévouement.
Saluons bien bas ces héros du devoir qui représentent le Poilu de France. Dans les divisions qui nous fatiguent et nous énervent, pensons que seuls ont droit à faire l’histoire ceux qui en furent les plus nobles et les plus glorieux artisans.
Que l’héroïsme des enfants de Bonnières soit une leçon pour ceux qui, dans la fièvre de leurs intérêts se refusent à reconnaître qu’ils ne seraient rien sans le paysan. Nous devons tous nous rendre compte que l’héroïsme du paysan de France a gagné la guerre ; c’est à son labeur continu, tenace et discret, que nous pouvons prétendre par lui gagner la paix. Après la plus poignante et la plus sanglante des épopées, il a tenu à revenir simplement à la terre, à reprendre la charrue. O tous ceux qui parfois seraient tentés d’oublier, viennent se recueillir devant ce monument, devant ce petit soldat de la République, pour évoquer le souvenir de ceux qui sont morts et dont le sacrifice ne doit pas être inutile. »
M. Théret, le sympathique conseiller général d’Aubigny, en des termes émus, témoigna sa sympathie et son amitié à M. Harduin, cruellement éprouvé, lui aussi par la perte de son fils aîné, et dans sa sympathie, il enveloppa tous les parents en deuil. Il s’adressa ensuite aux Anciens combattants.
« Si cet aveugle, dit-il, n’a laissé là-bas que ses yeux, si ce mutilé n’a perdu que ses bras, si vous tous, enfin, êtes revenu sains et saufs au foyer, ce n’est pas votre faute. Comme ceux qui sont ensevelis dans les tranchées, vous avez risqué mille fois votre vie. Vous avez été aussi braves qu’eux et vous méritez le même honneur. »
Dans un langage vibrant, M. Edmond Neuvéglise, glorieux mutilé, tint à exprimer quelques paroles de reconnaissance, en l’honneur de ses camarades qu’il a connus et avec qui il a vécu, enfant.
Ensuite, M. le Sous-Préfet de Saint-Pol, résuma en quelques mots les enseignements que l’on pouvait tirer de cette fête : « Enfants, dit-il, souvenez-vous, de l’exemple de vos aînés ; Anciens combattants demeurez unis comme au front pour rester forts ; parents, ne pleurez plus vos morts puisqu’ils ont gardé à la France sa première place dans le monde. »
Entre les discours, la fanfare de Rollepot fit entendre les meilleurs morceaux de son répertoire sous la direction de M. Copin ; des jeunes gens et des jeunes filles exécutèrent quelques chants très écoutés ; des fillettes de l’école récitèrent quelques poésies ; un petit poilu de 1914 récita avec un sang-froid remarquable un poème patriotique.
Enfin, pour clôturer la cérémonie, M. Harduin remercia M. le Sous-Préfet d’avoir accepté la présidence de cette fête, M. le chanoine Bridoux, martyr et grand mutilé de la guerre, d’avoir rehaussé l’éclat de cette cérémonie par sa présence, et par sa parole vibrante, M. Goubet et M. Théret, tous deux victimes de la guerre, l’un pour avoir subi la captivité boche, l’autre pour avoir perdu sa fille dans un bombardement par avion ; il remercia ensuite les conseillers d’arrondissement, MM Maincourt, Coquidé, Willerval, les maires du canton, qui, nombreux, avaient répondu à son invitation.
Ses remerciements allèrent ensuite aux anciens combattants, aux délégations des sociétés voisines, et à tous ceux qui ont participé à la réussite de cette fête, qui avait amené une foule telle que l’on n’en avait jamais vu dans la localité.