Inauguration du Monument aux Glorieux Morts de Charmes
La petite ville de Charmes, déjà si pimpante, si coquette, si pleine de « Charmes » avec son joli ruban de Moselle, ses rues proprettes, son clocher élancé et ses coteaux fameux, jadis par leurs vignes, était, dimanche, plus belle encore, plus accorte, plus souriante qu’à l’accoutumé.
De nombreux visiteurs venus d’Essegney, de Langley, de Florémont, de Vincey : que dis-je? venus de tous les coins du département ; des sociétés de gymnastique et de musique, des campagnards et des citadins ; toute une foule sympathique s’était jointe aux carpiniens pour célébrer le souvenir des Héros de la grande guerre, des deux cents vaillants tombés sur les champs de bataille, des Flandres à l’Alsace.
LE MONUMENT
Louons la touchante pensée de cette petite ville qui voulut, à jamais, unir dans un même souvenir les héros de 1870 et ceux de 1914.
Sur un socle de granit, un fantassin de l’armée impériale défend désespérément le Drapeau, tandis qu’un mourant s’efforce dans un dernier ressaut d’énergie de protéger l’emblème sacré. C’est l'image du sacrifice poussé jusqu’à la mort et qui redit toutes les souffrances des glorieux vaincus de 1870.
À ce monument, la ville de Charmes a ajouté le coq gaulois lançant à tous les échos son cri de victoire. Un hémicycle entoure le motif central. Les noms des 200 morts de la grande guerre y sont inscrits.
LE SERVICE RELIGIEUX
À 9 heures, dans la belle église magnifiquement décorée, un service solennel fut célébré en mémoire des enfants de Charmes morts au champ d’honneur. La nef était trop étroite pour contenir la foule désireuse de rendre un pieux hommage à ses morts.
M. l’abbé Mathieu, curé-doyen, prononça une belle allocution avec sa coutumière éloquence. Sublime page de patriotisme et de Foi qui émut profondément l’auditoire.
LA CÉRÉMONIE
À 10 heures 30, les diverses sociétés de gymnastique et de musique se rendent sur l’emplacement du monument. Le cortège officiel prend place sur l’estrade.
On remarque M. Magre, préfet des Vosges, M. le comte d’Alsace, sénateur, MM. Flayelle et E. Mathis, députés ; M. Folacci. sous-préfet de Mirecourt ; MM. Simard, maire de Charmes ; Mathis, Robin et Richard, conseillers généraux, Guillon, Creuzot, Huin, conseillers d’arrondissement ; Heurtefeu, chef de Cabinet, Quillé, secrétaire général de la F. M. A. C.; Tchœn, directeur de la B. T. T. ; le Conseil municipal de Charmes ; M. Perrin, maire de Vincey.
MM. Kempf et de Lesseux, députés, s’étaient fait excuser.
Après l’appel des 185 noms des héros, les clairons sonnent « Aux Champs », les étendards saluent le monument et toute la foule écoute, recueillie, la Marseillaise.
LES DISCOURS
M. Simard, maire de Charmes, prend le premier la parole.
Le monument que nous inaugurons aujourd’hui, dit-il, est destiné à publier la gloire et à perpétuer, de génération en génération, le souvenir des prodigieux exploits, des peines et des souffrances sans nombre de nos glorieux enfants. Saluons la mémoire des sauveurs de la Patrie libérée.
Nos morts nous ont rendu l'Alsace et la Lorraine : voilà leur œuvre sublime. Ne les pleurons plus, ils sont entrés dans l'Immortalité.
M. Simard fait ensuite appel, à l’Union de tous les rescapés de la grande fournaise.
En avant, s’écrie-t-il, pour la France victorieuse, la liberté et la République. M. Quillé, secrétaire général de la Fédération Vosgienne de l’A. M. C. magnifie l'héroïsme du 20e corps. Il rappelle la dette due aux victimes de la grande guerre et termine en rappelant l’œuvre si belle entreprise par la Fédération.
M. Richard, conseiller général, directeur des Verreries de Portieux, rappelle les sublimes efforts de notre armée pour barrer aux hordes allemandes, la trouée de Charmes. Magnifique et émouvante page d’histoire, à jamais célèbre dans les fastes de Lorraine.
M. E. Mathis, député, excuse ses collègues du Parlement : MM. Kempf, de Lesseux, Verlot, Lederlin, Fonck. En une énergique improvisation, le sympathique député retrace la vaillance et l’indomptable énergie de nos défenseurs ; il dit les espérances d’une France nouvelle qui se doit au travail pour compléter l’œuvre déjà si belle, mais incomplète de ceux qui ont versé leur sang dans les plaines vosgiennes et arrêté l’Allemand aux portes de la cité.
M. Flayelle, de sa voix chaude et sympathique, fait un magnifique éloge de nos héros. « C’est, dit-il, dans un recueillement impressionnant et dans une silence religieux que nous avons entendu l’appel de leurs noms, appel douloureux qui fait saigner nos cœurs meurtris. Appel douloureux mais magnifique car c’est un appel dé gloire et d’héroïsme.
Enfin, M. Magre salue la mémoire de ceux qui, animés de la même foi et du même idéal que les soldats de l’Empire, opposèrent, durant quatre années, leurs poitrines aux flots de l’envahisseur et le re poussèrent.
Il rend hommage à la ville de Charmes d’avoir unis dans une même pensée les morts des soirs de défaite et des midis triomphants. Enfin il exhorte les survivants à continuer l’œuvre si belle des glorieux héros disparus. Remettons-nous à l’œuvre sans retard, dit l’orateur, afin de contrebalancer par un surcroît de vie l’œuvre de mort de quatre longues années.
LE BANQUET
La cérémonie est terminée. À midi, un banquet réunit tous les invités dans la salle des Fêtes. Quelques toasts furent prononcés, notamment par MM. Simard, Magre, Flayelle. On but à la santé des survivants, mais les grands morts ne furent pas oubliés : on parla de leur héroïsme, de leurs souffrances, de leurs gloire, de l’impérissable souvenir qui demeurerait garde fidèle de nos devoirs, de l’immense dette que nous avons contractée envers eux.
L’après-midi de cette belle journée fut consacrée au festival de gymnastique. Ces soldats de demain rivalisèrent d’entrain, de force physique et de discipline. Leurs fanfares guerrières jetèrent leurs accords à tous les échos.
Mais quel qu’ait été l’attrait de cette fête sportive, l’âme de ceux qui ne sont plus, le souvenir de leurs souffrances, des deuils si nombreux, des vides que rien ne comblera jamais dans le cœur des parents, des épouses, des sœurs : tout cela, plus fort que la joie, plus puissant que les plus entraînantes marches, jetait sur la cité carpinienne un voile de recueillement, de noble tristesse, de pieuse espérance dans l’avenir.... Oublier ! Jamais !