Le Courrier de Châteaubriant et de la région, 29 juillet 1922
Bénédiction du monument aux morts
Dimanche dernier a eu lieu à Moisdon la bénédiction du monument aux morts de la guerre : vraie fête du souvenir, dans l’union de tous les cœurs qui avaient conscience de rendre un culte aux âmes immortelles des chers disparus plus encore qu’à leur glorieuse mémoire.
La messe fut dite par M. l’abbé Hardy, enfant de la paroisse. A voir l’antique église remplie de cette foule émue, on oubliait son architecture un peu fruste pour ne songer qu’au charme vénérable de son âge, comme si les générations nombreuses dont elle a entendu les prières revenaient en un tel jour entre ses vieux murs unir leur hommage à ceux des vivants.
Au premier rang, les représentants du Sénat et de la Chambre : M.M. de Landemont, Ginoux-Defermon, de la Ferronays, de Juigné et Lecour- Grandmaison ; derrière eux, le Conseil Municipal, regrettant l’absence de M. Palierne, adjoint, que la maladie a privé de cette joie; le Conseil paroissial, les représentants de toutes les sociétés patriotiques, les pompiers et la population toute entière.
La fanfare Saint Cécile, sous l’habile direction de son sympathique chef M. Joseph Vié, joua une entrée, au rythme grave, comme il convenait à cette cérémonie. Puis, alternant avec le chœur des jeunes filles, les musiciens chantèrent : une émouvante litanie, due à la plume de l’abbé Bellouard, prêtre-soldat ; "Seigneur, ayez pitié de ceux qui ne sont plus", un lent et beau cantique de l’abbé Prézelin, " Seigneur, vous avez pris nos époux et nos frères", et enfin, l’entraînante cantate du chanoine Lurent, "gloire à vous, martyrs de la France". Après l’élévation, Mlle Ginoux-Defermon, accompagnée par Mlle Bernard, chanta d’une voix pure et expressive une invocation au " Dieu des martyrs" écrite pour la circonstance sur la " Souvenez-vous" de Massenet.
La messe terminée, M. le vicaire général Lemoine monta en chaire, félicitant Moisdon d’avoir choisi pour symboliser le courage de ses morts la statue de Jeanne d’Arc ; il fit une saisissante comparaison entre notre héroïne nationale et les héros de la grande guerre, qui, comme elle sortis du peuple de France, sont partis, ont souffert, et sont morts comme elle pour la salut de la patrie, en donnant au monde les même leçons de vaillance et d’honneur.
Le R.P. abbé de la Trappe de Meilleraye donna alors l’absoute, assisté par M. le chanoine Lemoine et de M. le chanoine Tessier, curé d’Erbray, qu’entourait une couronne de prêtres, curé du canton et séminaristes.
La sainte Cécile exécuta une marche funèbre, pendant que la foule s’écoulait en silence sur la place où le défilé s’organisait.
En tête, les bannières paroissiales, les enfants des écoles, tous une fleur à la main, les enfants de Marie et les membres de la Jeunesse catholique, puis la fanfare, puis le clergé suivi des autorités et des sociétés groupées autour de leurs drapeaux : Vétérans et U.N.C. de Moisdon, Anciens combattants, Mutilés et Réformés, et Anciens Prisonniers de guerre de Châteaubriant. En long cortège venaient ensuite les familles des morts, derrière une couronne, symbole de leurs regrets, portée par M. Dauffy, qui a eu la douleur de perdre ses quatre enfants.
Sous une chaude lumière coupée d’averses, le monument était merveilleusement décoré de banderoles, de guirlandes et de fleurs qui faisaient des dessins multicolores sur un tapis de mousse : chef d’œuvre de patience et de goût que composèrent des mains d’artistes sous l’inspiration de M. le vicaire.
Après l’hymne de Victor Hugo, "Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie", M. le curé sut exprimer, en quelques mots du cœur, le sens de la fête, hommage de la paroisse à ses enfants regrettés. M. le docteur Bernier, président de l’U.N.C. de Moisdon et du Comité d’érection, dit sa joie d’avoir réussi à élever, avec le concours de tous, ce monument de la reconnaissance, dont il fit remise à la municipalité. Il fit l’appel des 111 noms inscrits sur le marbre ; à chaque nom, les hommes répondaient : " Morts au champ d’honneur".
Les clairons sonnèrent "au drapeau". Le R .P. abbé prononça la formule de bénédiction.
Puis, M. GInoux-Defermon, député-maire, prit la parole. Il excusa les députés et sénateurs absents, ainsi que M. le Préfet, M. le Sous-Préfet et le général (représenté par le lieutenant Sautejeau). Il se rappela avec émotion tous ces jeunes gens qu’il avait connus dès leur enfance et qui ont sacrifié leur jeunesse au pays. M. Martin, notaire, vice-président de l’U.N.C. et représentant du Souvenir Français, rendit un nouvel hommage à ses anciens compagnons d’armes. Et lorsque les voix fraîches des enfants eurent chanté un hymne aux chers soldats, M. de la Ferronays, au nom de ses collègues du Parlement, clôt la série des discours par une haute leçon d’énergie professionnelle et d’attachement au devoir quotidien pour continuer l’œuvre de nos morts.
Le chant " À l’étendard " termina la cérémonie.
Pendant qu’au presbytère, dans une suite de toasts familiers, M. le Curé, puis M. le vicaire général et le R.P. abbé disaient leur bonheur d’avoir assisté à cette belle fête du souvenir, un repas de 100 couverts, servi par la maison Bossé de Châteaubriant, réunit à la Mairie toutes les autorités. M. Ginoux remercia aimablement ses invités, M. de Juigné aborda le grave sujet de la nouvelle loi militaire ; M. Le Cour s’abandonna à une causerie enjouée et spirituelle ; M. Billaud, avoué, fit ressortir l’union qui a toujours existé entre Moisdon et Châteaubriant ; M. de Landemont, rappelant qu’il était venu, il y a dix sept ans, remettre leur drapeau aux Vétérans, invita tous les bons Français à tenir les yeux fixés sur l’Allemagne pour empêcher une autre agression ; M. Martin et M. Legal, juge de paix, saluèrent la France, à qui va, en définitive, l’honneur de cette journée.
Journée d’union parfaite, d’harmonie et de beauté morale, toute pleine de consolation et d’espoir.